Un dédale de ruelles plongées dans la pénombre, des fils électriques et des tuyaux d'alimentation en eau qui se croisent et s'entrecroisent, des immeubles qui s'étirent toujours plus haut vers le ciel faute d'espace suffisant… Véritable « ville dans la ville » étendue sur un kilomètre carré, le camp de Chatila où s'entassent 60.000 réfugiés palestiniens et syriens, est situé à l'ouest de Beyrouth. La majorité d'entre eux ne peut exercer la plupart des métiers faute d'autorisation délivrée par l'État libanais. Un statut qui les maintient dans une grande pauvreté. Les enfants n'ont pas le droit non plus d'aller à l'école, mais l'enseignement est tout de même dispensé grâce à l'aide indispensable d'ONG internationales. Une aide déclinée pour les soins également, en l'absence d'un système de santé efficace.
Au milieu du bourdonnement de la vie quotidienne dans ce camp insalubre, des membres de la communauté palestinienne chassés de leur terre il y a 75 ans, observent avec attention les événements de Gaza depuis l'attaque du Hamas contre des civils et militaires israéliens, le 7 octobre 2023. Les infos diffusées sur Al-Jazeera , la chaîne d'info du Qatar, tournent en boucle.
Entre espoir et crainte
Sans occulter les massacres perpétrés par le Hamas, les Palestiniens de Chatila restent solidaires et préfèrent parler avant tout des civils tués chaque jour dans la bande de Gaza. « Avant, les peuples juifs et palestiniens parvenaient à vivre ensemble, mais aujourd'hui, ce n'est plus possible, il faut que la guerre s'arrête », souhaite, sans être convaincue, Badreye Yousef, palestinienne de 84 ans arrivée à Chatila lorsqu'elle avait 6 ans.
Ehsan Awda, 46 ans, est réfugié syrien. Il a traversé la frontière libanaise en 1997 depuis Damas, sa ville natale. Il a ensuite créé sa boutique où il recoud les vêtements usagers que lui confient ses clients. Comme beaucoup, il espère que le conflit trouvera une issue favorable et que la guerre ne s'étendra pas au Liban tout entier. « La situation à Gaza ne peut pas durer, le monde entier devrait contribuer à stopper cette guerre. Le Liban est mon deuxième pays, je m'y sent chez moi et je ne veux pas que la guerre arrive jusqu'ici. Néanmoins, je suis arabe et musulman, je suis solidaire de ce qui se passe à Gaza.»
Le combat d'une vie
La perspective d'un affrontement généralisé entre le Hezbollah et l'armée israélienne au Sud-Liban, Saliha Abdelhadi, palestinienne de 75 ans, en a peur. « Mon coeur est en Palestine, ça me rend triste de voir ça, je ne peux pas m'empêcher de regarder la télé tous les jours et j'ai peur que ça arrive jusqu'à Beyrouth. » Ses deux filles, assises à ses côtés, expliquent que Saliha se précipite dans sa chambre dès qu'elle entend la déflagration causée par le passage du mur du son par un avion de chasse. « Elle vit avec la peur au ventre. »
Pour Amal Alakar, qui travaille comme femme de ménage, la vie dans son studio dépourvu de fenêtres et rongé par l'humidité est très difficile. Pourtant, la palestinienne ne pense qu'à ce qui se déroule à Gaza : « C'est un génocide », pense-t-elle. Cette mère de famille de 59 ans, dont un fils et le mari sont décédés, va plus loin et voudrait que ses enfants partent combattre Israël. « Il faut trouver une voie pour résister, j'ai un fils et une fille qui veulent se rendre en Palestine pour se battre, je ferai tout ce que je peux pour les aider. »
Plusieurs factions palestiniennes seraient volontaires pour rejoindre les rangs des combattants du Hamas en Palestine, mais sans l'autorisation du Hezbollah qui contrôle le sud du pays, la situation reste figée. Juste ici, le parti chiite ne s'est pas engagé dans un conflit frontal et généralisé avec Israël. Jusqu'à quand ?
(Le camp doit son nom au Libanais Saad Eddin Basha Chatila, agent du propriétaire du terrain, et a été créé en 1949 . La plupart des résidents sont originaires des provinces de Galilée, Saffuriya, Haïfa, Shafa Amr, Jaffa… et de plusieurs autres villes du nord de la Palestine. Lorsque l'armée israélienne a occupé le Liban en 1982, le camp a été détruit, pris pour cible pendant la guerre civile (1975-1990) et près de 5.000 civils palestiniens et libanais, ainsi que dans le quartier de Sabra, ont été exécutés par les Phalanges libanaises d'Al-Kata'eb en représailles à l'assassinat de l'un de leur chef.)
L’ancienne figure de l’OLP, Yasser Arafat, ici aux côtés du dictateur irakien Saddam Hussein, est encore présente dans les rues du camp, mais la jeunesse lui préfère les nouveaux leaders du Hamas.
Pour circuler dans les rues étroites de Chatila, le scooter est le véhicule idéal. Il y en a partout.
Il y a bien des écoles à Chatila mais certains sont déscolarisés et cherchent des distractions dans la rue. Ce groupe d’enfants venaient de découvrir un pigeon blessé et agonisant sur un muret.
Des enfants jouent aux billes sur l’unique place du camp. Il existe également des salles où ils peuvent jouer aux babyfoot ou au billard, mais c’est souvent payant.
Les ruelles de Chatila forment un véritable dédale où se succèdent les petits commerces. L’économie est frappée par la crise, comme l’ensemble du pays, depuis août 2020 et l’explosion du port de Beyrouth rendant la vie plus difficile encore.
Malgré la superficie restreinte du camp, de nouveaux immeubles se construisent, d'autres s'élèvent plus vers le ciel.
Maintenir l'alimentation électrique est un véritable défi. Pourtant, ça fonctionne malgré des coupures occasionnelles. Ici, un électricien, extrêmement doué, raccorde le courant pour permettre aux ouvriers travaillant à la construction d'un immeuble en plein centre du camp d'utiliser leur matériel électroportatif.